Introduction à l' « informatique verte »

environnement 31 mai 2014

L’ « Informatique Verte ». Une bien belle idée, derrière laquelle on cache tout et (surtout) n’importe quoi, parce que ça fait bien, pour une société qui brasse des milliers de térawatts, de dire qu’elle compense l’impact qu’elle a sur l’environnement par d’autres moyens techniques, parfois discutables.

Vous le savez si vous êtes déjà passé sur mon CV ou sur la page où je me suis maladroitement décrit, mais l’environnement, c’est mon « cœur de métier », en particulier l’analyse environnementale (analyse de cycle de vie, éco-conception, tout ça). Le GreenIT (en anglais), c’est dans la même veine, et ça m’intéresse d’autant plus que ça lie ma formation d’ingénieur/master à ma passion.

Sans prétendre à l’exhaustivité, je vais essayer de vous expliquer en quoi consiste l’ « informatique éco-responsable » : constats, critères, indicateurs… avec quelques chiffres, tant qu’à faire ! Ça met toujours mieux en perspective ! Après ça, à vous de vous forger votre opinion. 🙂

 

Un point de vocabulaire

Si vous voulez comprendre ce que je dis, on va commencer par là. Non pas que ce soit excessivement compliqué, mais certains termes (notre « jargon » si on veut) demandent des éclaircissements afin que vous ayez une idée juste de ce qu’ils véhiculent, parce que ça peut être loin de ce à quoi on pense de prime abord.

DEEE – Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (voir EEE). Ce terme désigne les équipements électriques et électroniques arrivés en fin de vie. Ils bénéficient de filières de collecte, tri et recyclage séparées des autres types de déchets, entre autres à cause de leur composition chimique nocive pour l’homme et l’environnement. L’Union Européenne fixe régulièrement des seuils à atteindre en matière de collecte et de recyclage (en % de DEEE collectés, par rapport au nombre d’EEE mis sur le marché pendant la même période).

éco-TIC – écotechniques de l’information et de la communication. C’est la définition de l’informatique verte donnée par le Journal Officiel de la République Française, qui les définit comme les techniques de l’information et de la communication dont la conception ou l’emploi permettent de réduire les effets négatifs de l’activité humaine sur l’environnement. Toujours d’après le JORF, « la réduction des effets négatifs de l’activité humaine sur l’environnement tient à la diminution de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre qui résulte du recours aux écotechniques ou à la conception même de ces techniques, qui s’attache à diminuer les agressions qu’elles pourraient faire subir à l’environnement au cours de leur cycle de vie ». Notez qu’aucune mention n’est faite des substances chimiques dangereuses.

EEE – Ce sont les Équipements Électriques et Électroniques, regroupant tout les appareils fonctionnant à l’électricité ou par des champs électromagnétiques.

Greenwashing – Écoblanchiment en français. Si. On y range tous les procédés marketing visant à se donner une image d’organisation écologiquement responsable, alors que ce n’est pas le cas. Quand on dépense plus de temps et d’argent à faire sa publicité environnementale qu’à agir concrètement, c’est qu’il y a brontosaure sous grain de sable. Apple se fait régulièrement taper sur les doigts pour l’opacité de sa communication environnementale, par ailleurs régie par des normes internationales qu’elle enfreint au passage. Typiquement, donner des chiffres de réduction d’impact sans aucune explication ni preuve, c’est du greenwashing. Inventer un pseudo-label, aussi.

NTIC – Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. C’est comme les TIC, en gros, même si ce terme a tendance à couvrir les problématiques générées par l’intégration des TIC dans les systèmes institutionnels. Certains ajoutent les réseaux sans fil et la téléphonie aux TIC, mais l’usage n’est clairement pas figé.

RoHS – Restriction of the use of certain Hazardous Substances in electrical and electronic equipment. Cette directive complémentaire de la directive DEEE intègre également le principe « pollueur-payeur » (on appelle ça « responsabilité élargie du producteur », euphémisme politiquement correct 😀 ). Elle vise à limiter l’utilisation de 6 substances dangereuses : le plomb, le cadmium, le mercure, le chrome hexavalent, les polybromobiphényles (PBB) et les polybromodiphényléthers (PBDE).

TIC – Technologies de l’Information et de la Communication. C’est parfois appelé télématique par les vieux croulants, ceux adeptes du Minitel. 😀
Ce terme regroupe les techniques liées à l’informatique, à l’audiovisuel, à l’Internet, aux télécommunications…

 

Un peu d’histoire

On pourrait penser que les débuts de l’informatique verte datent des balbutiements de l’informatique en général. Cela serait partir du principe que les pionniers du domaine avaient une conscience écologique suffisamment développée pour se poser la question des impacts que pouvaient avoir leurs activités (aussi bien en tant que producteurs de matériel qu’utilisateurs du dit matériel) sur notre planète.

Malheureusement, avec un peu de recul, on se rend compte aujourd’hui du décalage assez marqué entre les préoccupations de l’époque et les nôtres. Le GreenIT tel que nous le connaissons est né dans les années 2000, un accouchement un peu rapide d’ailleurs, poussé par plusieurs constats ayant donné lieu pour nombre d’entre eux à des législations européennes, comme les directives DEEE et RoHS (souvenez-vous, on a vu apparaître de petits autocollants « RoHS compliant » sur nos composants informatiques, comme sur l’image ci-dessous), l’augmentation de notre consommation énergétique et surtout l’augmentation du prix du pétrole, qui a fait comprendre a pas mal de monde que oui, les ressources présentes sur Terre sont bel et bien disponibles en quantité finies.

Un des logos que l'on peut rencontrer sur nos emballages
Un des logos que l’on peut rencontrer sur nos emballages

Et alors quoi ? Du constat à l’action, il y a une marge. Et certains l’ont franchie, donnant naissance à cette discipline à mi-chemin entre l’informatique « classique » et l’environnement. Entreprises, gouvernants… ont commencé à voir l’outil informatique comme un élément polluant, au même titre que tout autre appareil électroménager. Et à prendre des mesures. Comme bien souvent, il convient cependant de faire la part entre la démarche écologique réfléchie et le marketing mensonger (qui a dit « pléonasme » ?!).

 

Si on avait su…

Remontons maintenant dans les années 90, et pour que ça parle à plus de monde, à Windows 95/98. Vous vous rappelez ces écrans de veille animés ? Si si, le ballet de lignes, la tuyauterie qui se construit petit à petit, le logo Windows qui se promène… sans parler du nombre phénoménal d’animations qu’on pouvait trouver sur le net, parfois même à un prix exorbitant. Cet écran de veille, à quoi servait-il ? À être hype, ou à économiser la machine et sa consommation énergétique ?

En fait, il servait sur des machines plus anciennes, dont l’écran monochrome prenait la marque de ce qui y était affiché si cela restait figé trop longtemps. En maintenant une activité sur l’écran, on évitait de l’endommager. Intention au demeurant tout à fait louable, mais de deux choses l’une :

  • pourquoi ne pas simplement désactiver l’affichage, ce qui aurait eu pour effet de mettre le moniteur en veille ? Ah, bah oui, il n’y aurait pas eu de logo Windows / Apple volant. Ces marketeux… 😉
    Notez que pendant ce temps, l’ordinateur et l’écran consommaient du courant…
  • pourquoi avoir conservé cette fonctionnalité sous Windows 95 et suivants ? Encore aujourd’hui, ces écrans de veille sont présents. Là où le comportement par défaut de Linux est d’estomper l’écran puis de l’éteindre. Nos écrans ne sont plus sensibles aux problèmes des générations précédentes. Vous réduisez le temps d’allumage de l’écran de votre smartphone pour gagner de précieuses minutes d’autonomie, c’est bien que vous admettez que l’écran est responsable d’une bonne partie de la consommation énergétique de l’ensemble, non ? 🙂

Ça peut vous paraître anecdotique, mais regardez autour de vous. Ou regardez votre ordinateur, peut-être. Combien d’écrans allez vous voir allumés, avec des bulles se promenant dessus ? Trop. Et si à votre échelle cela ne vous paraît pas significatif, qu’en est-il à l’échelle d’une entreprise, d’un pays ? Il faut reconnaître que nous ne sommes pas aidés, les deux principaux systèmes d’exploitation grand public continuant à proposer des réglages énergivores par défaut…

 

De la même façon, l’informatique d’ « avant » utilisait des substances aujourd’hui reconnues comme dangereuses. On peut citer le plomb, le cadmium (interdits par la directive RoHS dont je parlais au début), et surtout… Les PBDE (polybromodiphényléthers –à vos souhaits, on va garder PBDE pour la suite, hein).

Les PBDE sont reconnus pour endommager le foie, la thyroïde et le système nerveux, y compris chez nos amis animaux. Des traces de cette contamination sont apparues jusqu’en Arctique dans les années 1990. Les taux doublent tous les 5 ans depuis.

Bien entendu, ce ne sont pas les seuls exemples, simplement je les trouve simples à comprendre et représentatifs de la problématique globale. Un autre point essentiel, c’est la consommation énergétique, dont on va causer par la suite.

 

Indicateurs

Consommation électrique

C’est bien sûr un des impacts les plus importants causés par nos systèmes d’information. Tous nos appareils communicants, du smartphone au gros serveur en datacentre en passant par nos ordinateurs fixes et portables, ont besoin d’électricité pour fonctionner. Plus ou moins selon la machine et son utilisation, mais tout de même. Évidemment, qui dit électricité dit argent, au prix du kilowattheure.

Vous vous rappelez de Second Life ? Ce jeu où vous pouviez créer votre avatar à votre image (ou pas), et évoluer dans un monde virtuel en constante évolution. Une étude (un poil controversée quand même… comme toujours ?) a pourtant chiffré la consommation électrique associée. Vous le saviez, que votre avatar consommait autant qu’un (vrai) brésilien ? 😕

Explications rapides : le ménage français moyen (2 parents + 1 gniard) consomme 4 000 kWh en un an (source : ADEME). L’étude (de 2007) indique le nombre d’utilisateurs de Second Life connectés en même temps aux 4 000 serveurs du jeu, et sur la base de 250W par serveur (en comptant la clim’ !) et 120W par ordinateur d’utilisateur, on calcule la consommation électrique en 1h : [(4 000 serveurs * 250W) + (12 500 utilisateurs connectés * 120W)] / 1000 = 2 500kWh. Ramenons ça sur l’année pour un seul utilisateur : 2500 * 24 * 365 / 12 500 = 1 752kWh !

Hé. Concrètement, ça représente plus que les appareils électriques d’un foyer français sur un an. Et ça colle à peu de choses près avec la consommation totale (personnelle et professionnelle) du brésilien moyen (source : Earthtrends). C’est juste pour vous aider à visualiser la chose, mais vous ne trouvez pas que ça fait beaucoup ? 🙂

Autre exemple maison, parce que j’étais curieux de savoir : j’ai une XBox 360 qui prend la poussière plus souvent qu’autre chose, et je me suis demandé ce qu’elle mangeait en veille, allumée mais « inactive » (comprenez par là : sur l’écran d’accueil, à ne rien faire), et active (en jeu, quoi). Les résultats sont à mon sens assez équivoques :

  • en veille (ce qui correspond à « éteinte », en fait, la console ne s’éteignant vraiment que lorsque vous la débranchez) : 3,1W
  • allumée mais inactive : 117,3W
  • en jeu : 118,9W

Fait-elle tourner quasiment à fond l’ensemble de ses composants alors qu’elle n’a rien de bien exceptionnel à faire ? Je ne sais pas. Toujours est-il que ça m’incite à la débrancher. A titre de comparaison, mon serveur web consomme entre 4 et 5W alors que lui a constamment des choses à faire…

Oh, et pour le fun, je vous ai dégoté (merci au collègue du CREIDD qui a fait la mesure pour moi !) la consommation d’une Super Nintendo. Oui, ça date un peu, mais ça illustre quand même pas trop mal l’augmentation de la puissance nécessaire pour le même service rendu (passer le temps, basiquement) :

  • en veille :1,5W
  • allumée mais inactive : 5,5W
  • en jeu : 7,4W

Vous en pensez quoi ? 🙂

 

Création de déchets

C’est l’autre poste le plus important. C’est pas pour rien qu’on parle de réglementation DEEE, de responsabilité élargie du producteur, de l’écoparticipation pour aider à financer la filière dédiée de collecte et traitement, avec ces fameux éco-organismes agréés par l’Etat pour gérer tout ça, dont vous entendez probablement parler à la TV, à la radio : Eco-Systèmes, EcoLogic et ERP.

Je ne vous apprends pas que vos ordinateurs, serveurs, téléphones, consoles… Sont des EEE (hop, un petit tour au début, section vocabulaire ! 😉 ). Il y a donc nécessairement tout un tas de matériaux, dedans, dont les fameuses Terres Rares dont on nous parle aussi pas mal, en particulier parce que les quantités disponibles sont limitées. Bref, terres rares ou non, on a au menu des vacheries : du plomb, du cadmium, du mercure, de l’or, des plastiques (dont du PVC), du baryum, du béryllium… vous ne les connaissez pas tous, et c’est normal, mais ils sont loin d’être anodins. Déjà, parce qu’ils sont nocifs pour l’environnement. Ensuite, parce qu’ils sont nocifs pour l’homme. Surtout, parce que les pays développés (en particulier les Etats-Unis, mais ils ne sont pas les seuls à blâmer) envoient leurs DEEE par containers entiers à des pays peu développés, histoire qu’ils récupèrent comme ils le peuvent ce qui peut l’être. Au mépris de toutes les règles sanitaires, environnementales, etc. Allez expliquer à un petit asiatique de 10 ans que non, cramer des fils électriques pour faire fondre le plastique et récupérer le cuivre (en reniflant au passage toutes les fumées), c’est pas vraiment la meilleure façon de faire…

Source : "Exporting Harm", Basel Action Network
Source : « Exporting Harm », Basel Action Network

 

Vous allez me dire, ça ne peut pas être si dramatique que ça… Prenons un exemple. Chacun de vos ordinateurs comprend une pile bouton, pour faire tourner l’horloge interne, conserver les réglages du BIOS, tout ça. Cette pile contient potentiellement 1 gramme de mercure : c’est-à-dire que cette quantité pollue 1m3 de terre (ou 1 000m3 d’eau) pendant 100 ans. Alors vous imaginez ce que ça représente pour les dizaines, centaines, milliers d’EEE laissés à l’air libre en Asie ?

 

Empreinte carbone

Prenons un exemple du quotidien : vous faites une recherche sur Google. Tellement banal que ça en est devenu un réflexe. C’est instantané, ça ne fait pas consommer plus à votre ordinateur, tout va bien dans le meilleur des mondes. Sauf que… Ce à quoi les gens ne pensent pas, c’est que les serveurs de Google qui répondent à vos requêtes, eux, ce sont des monstres de puissance, allumés 24/7, toujours en train d’indexer, de compiler les résultats, d’agréger, d’optimiser la base de données… Et ça en consomme, du courant. Notez qu’un grand nombre de ces serveurs se situe en Chine, laquelle tire la majeure partie de son électricité de son énorme parc de centrales thermiques au charbon. Rajoutez maintenant toute l’infrastructure entre votre box et le datacentre qui vous répond. Encore un peu d’électricité ! 😉

Heureusement pour nous, des scientifiques se sont penchés sur le problème, et je pense en particulier à Alex Wissner-Gross, un physicien à l’Université de Harvard.

D’après ses travaux, Google a (de façon simplifiée) deux façons de répondre à vos requêtes :

  • transmettre votre recherche à un seul de ses serveurs. La consommation d’énergie est réduite, au détriment du temps de réponse, surtout si le serveur en question est un poil chargé ;
  • transmettre votre recherche à de multiples serveurs. On multiplie la consommation par le nombre de serveurs auxquels la requête est envoyée, mais on améliore d’autant les chances que l’un d’eux réponde rapidement.

Bien évidemment, la solution retenue est celle de la rapidité d’exécution…

Une étude de Joel Gombiner, de la Columbia University et intitulée « Carbon footprinting the Internet » (source : Consilience: The Journal of Sustainable Development, Vol. 5, Iss. 1 (2011), Pp. 119-124 — 141-370-2-PB) chiffre les émissions de CO2 d’une requête sur Google à 1 gramme par requête. Cela représentait en 2011 1 milliard (!!) de grammes de CO2 relâchés dans l’atmosphère par jour. Soit l’équivalent de 3 822 000 kilomètres parcourus en voiture, à la louche. Et on ne parle que du moteur de recherche Google, sans les autres services de la multinationale ou le reste de l’Internet !

 

La liste des indicateurs que l’on peut évaluer n’est évidemment pas exhaustive, et dépend des objectifs et attentes de chacun. J’ai développé ceux-ci parce qu’ils sont selon moi les plus représentatifs, et surtout ils sont généralement présents dans les rapports d’analyse environnementale qu’on peut croiser un peu partout.

Libre à vous de me demander de développer un autre indicateur qui vous intéresse, ou de le faire 😉

On veut tous éviter ça, non ? -- Source : Basel Action Network
On veut tous éviter ça, non ? — Source : Basel Action Network

 

Comment lutter ?

On est bien d’accord, tout ce qu’on a vu plus haut, c’est nul. Et à éviter, de fait. La question, c’est : comment ? Là encore, une foultitude de solutions existe, la première passant par le fait de diffuser le plus largement possible ce genre d’informations, afin de provoquer une certaine prise de conscience.

Passé cette étape (voire pour faciliter la prise de conscience), d’autres leviers d’action peuvent être actionnés. Quelques exemples, allez !

 

Achats responsables

Si je vous dit « éco-conception », vous en pensez quoi ? Vous ne savez pas ce que c’est ? Sans entrer dans des détails qui n’intéresseraient pas grand monde (c’est applicable à tout produit/service, donc large), on va dire que pour le secteur informatique, c’est en gros intégrer la notion d’environnement dès la phase de conception du produit/service étudié. C’est donc très amont dans le cycle de vie du machin concerné. On s’efforcera donc de prendre en compte l’impact environnemental « prévu », de l’extraction des matières premières à la gestion de la fin de vie du matériel (incluant le recyclage, réemploi, achat de matières recyclées en tout ou partie…).

Concevoir du matériel en prenant ces aspects en ligne de compte, ou acheter du matériel éco-conçu pour économiser un peu sur votre facture d’électricité.

Bien sûr, il convient de réfléchir sur l’ensemble du cycle de vie du produit. Dans le cas d’un ordinateur, par exemple, la fabrication nécessite un peu plus de 240kg de combustible, 22kg de produits chimiques, 1 500 litres d’eau… Ça commence à faire. L’ordinateur, au final, il pèse même pas le dixième de tout ça…

Que ce soit pour concevoir ou acheter, il convient de se pencher sur un aspect qui n’est pas seulement marketing : les éco-labels. Il ne faut surtout pas les confondre avec des pseudos-labels auto-proclamés, et par conséquent mensongers. Citons (pour les « vrais » éco-labels) EnergyStar, l’éco-label européen, la marque NF Environnement, et j’en passe.

Les éco-labels européen et NF Environnement
Les éco-labels européen et NF Environnement

Vous pouvez vous renseigner sur les éco-labels grâce au site ecolabels.fr, édité par l’AFNOR, l’autorité française en ce qui concerne la normalisation, certification, et tout ça.

Notez (merci à GreenIT) que ces labels ne sont pas forcément les plus courants, mais qu’on croise bien plus souvent EPEAT ou TCO.

 

Comportement responsable

Une bonne pratique courante serait de se responsabiliser par rapport à tout ce qu’on fait avec du matériel informatique, ou à ce que l’on peut en faire pour réduire les émissions d’autres « postes ».

On peut par exemple restreindre ses impressions, ou installer un système de « tampon » (en vrai, de gestion, mais voyez ça du point de vue de l’utilisateur lambda qui veut simplement sortir une feuille plutôt que de savoir que l’administrateur réseau a mis en place tel ou tel truc) comme Watchdoc, capable de gérer la file d’impression, d’associer chaque tâche d’impression au collaborateur qui l’a soumise, lui permettant de l’annuler, et ne démarrant la dite impression qu’une fois devant l’imprimante (système de code, ou de carte magnétique). On utilise ce système à l’UTT (principalement pour la gestion des crédits d’impression, certes), et c’est quand même efficace. Une étude Ipsos de 2008 chiffre à 400 millions d’euros par an les impressions inutiles des entreprises françaises, et pour info ça représente en gros 1,2 millions d’arbres gâchés bêtement.

Entre autres systèmes simples à mettre en place : la visioconférence. C’est quand même plus pratique que d’envoyer 10 personnes en voiture de service 150km plus loin pour une réunion tous les mois. Des exemples de réussite existent, et même à l’échelle locale, on en trouve, comme le Crédit Agricole avec lequel j’ai pu travailler au cours d’un projet, et qui a mis en place son propre outil de visioconférence, Vision’ère.

Pour terminer là-dessus, et sans être exhaustif, quelques autres points pouvant être considérés, en particuliers ceux touchant à la gestion du parc informatique de votre entreprise. Taux de renouvellement, « façon » de se débarrasser des machines mises au rebut (souvent fonctionnelles, bien qu’anciennes), et surtout, centralisation de la gestion des machines, mises-à-jour, logiciels installés, suivi d’incidents… Essayez GLPI, vous m’en direz des nouvelles ! Ce genre d’outil vous évite (à vous, ou votre administrateur) de traiter les machines une à une, d’accélérer les déploiements, et donc d’optimiser pas mal de déplacements, consommations électriques, et temps passé à gérer tout ça. Sans compter l’extinction programmée/forcée des machines, parce que pour vous donner un ordre de grandeur, en 2004 aux Etats-Unis, seulement 36% des employés éteignaient leurs postes informatiques en fin de journée. Sachez qu’en adaptant le mode de fonctionnement des machines et en en programmant leur arrêt le soir, une entreprise peut économiser jusqu’à 60% de la consommation électrique liée à son système d’information… Et ces économies, bien que réelles, se traduisent par moins de production d’énergie primaire, et donc moins d’effet sur l’environnement. Parce que oui, il faut souvent appuyer les arguments environnementaux avec des histoires de sous, pour que les gens bougent…

Il n’y a pas de solution miracle, mais ce serait dommage de se priver des premières briques, non ? Vous pouvez même envisager de remplacer certains postes « lourds » par des clients légers, souvent suffisants et bien moins énergivores. Et moins chers à l’achat, aussi.

 

Solutions techniques

Comme mentionné juste au-dessus, les clients légers, c’est une première solution technique. La société de recrutement Reed a réussi à réduire la consommation électrique de son parc informatique de 80% en remplaçant en 2008 4 500 PC et 400 ordinateurs portables par des stations légères. De façon simplifiée, la station n’est plus un ordinateur à part entière, mais un « affichage déporté » d’un environnement de bureau exécuté sur un gros serveur.

Dans la même veine, on trouve la virtualisation. Pour vous la faire courte, on optimise l’utilisation d’une machine physique, chargée de servir simultanément des logiciels à plusieurs utilisateurs, sur des machines distantes. Cela permet éventuellement de retrouver son programme et ses réglages même si on change de machine, ou si on est en déplacement. Ce cas particulier, c’est la virtualisation de postes de travail, ou de bureau. M’enfin retenez que pour une personne supposée ne pas bouger ou n’utiliser qu’une liste pré-définie d’applications (comme c’est le cas pour les postes en libre accès aux étudiants ici à l’UTT), la virtualisation d’application suffit et est la plus économique. Si c’est un utilisateur qui doit pouvoir être nomade ou installer des programmes, alors il faut virtualiser l’environnement de bureau, engendrant une consommation de ressources un peu plus importante sur le serveur.

On en a parlé aussi plus haut, mais l’extinction automatisée des ordinateurs est une solution rapide et simple à mettre en place pour les utilisateurs récalcitrants « tête en l’air ». Des économies substantielles peuvent être réalisées ! Dites-vous qu’un PC « classique » bouffe en moyenne 150Wh, là où un client léger n’en consomme que 10.

Une question que je pose : les programmes informatiques sont-ils de plus en plus « écolophobes » par nature ? Je m’explique : ils sont nombreux, ces programmes, à « prendre du bide » parce que le coût du Go de stockage va en décroissant. Là où avant on optimisait pour minimiser l’usage de ressources, on ne le fait plus aujourd’hui. Le système s’auto-entretient : on améliore l’électronique et on double la mémoire vive des machines ? Alors les programmes développés ensuite vont utiliser plus de mémoire, et les utilisateurs finiront par percevoir des lenteurs. Alors on va continuer à améliorer les composants, etc. L’optimisation de la consommation de ces composants, elle… est secondaire, sauf dans le cas des ordinateurs portables. Et encore : pourquoi se faire suer, quand on peut mettre une batterie plus importante ? 😉

Et je ne parle pas des applications qui consomment davantage de processeur que nécessaire. Il n’y a qu’à prendre une machine un peu ancienne (au hasard : mon ancien EeePC 1005HA), démarrer un Linux léger, ouvrir une page YouTube. Ben rien que ça, ça le fait ramer. Pas le navigateur, non, mais le lecteur en Flash, parce que Flash est une technologie moisie et propriétaire pleine de défauts, qu’on ne corrigera pas, puisque les sources sont secrètes. Et tout ça, sans même avoir lancé la lecture de la dite vidéo qui, sur une telle machine, va saccader à mort.

 

Autres briques moins visibles pour la plupart d’entre vous, celles qui font fonctionner le réseau Internet, au moins en partie : les datacenters. Ils sont eux aussi amenés à se mettre au vert, parce que la demande va en croissant, et le prix de l’énergie avec. Les opérateurs sont donc nécessairement amenés à réfléchir à l’optimisation de leur système. C’est cependant bien plus complexe à organiser, au vu de l’emplacement à choisir (pas loin d’une plaque d’interconnexion à Internet, idéalement), de la quantité d’énergie à amener sur site (autant choisir un mix énergétique le plus propre/durable possible), du système de refroidissement retenu, et j’en passe… Même si certains innovent et tentent d’utiliser les ressources naturelles à disposition pour refroidir leurs équipements, à l’instar de la société Canada Web Hosting, qui utilise les eaux profondes (90 à 100m) d’un lac voisin pour maintenir dans son centre une température de 4°C. On appelle ça Deep Lake Water Cooling (DLWC). OVH développe aussi, par exemple, son propre système de refroidissement pour son datacentre canadien, et tire la totalité de son énergie d’un barrage hydroélectrique proche.

Google (comme d’autres) s’efforce de tenir à jour un site indiquant ses actions et résultats en matière de Green IT. Il est accessible par tout un chacun, bien que totalement invisible aux yeux de qui ne sait pas qu’il existe. En voici le lien : http://www.google.com/green/

Bien entendu, il convient de prendre le contenu de ce site avec des pincettes. Autant certaines données (comme leur bilan carbone) a été vérifié par un cabinet de consultants (et Google fournit la copie de l’attestation, normal), autant d’autres chiffres et actions ne sont étayés que par un petit paragraphe descriptif et une jolie photo. Google a cependant décidé d’être un exemple en matière d’environnement, et pas seulement lorsque cela touche au Green IT : on notera également l’existence de programmes de réduction des déchets, d’approvisionnement en nourriture de ses bureaux auprès de fournisseurs locaux, etc.

Prenons maintenant un exemple diamétralement opposé : Apple. La marque à la pomme se targue elle aussi de proposer des produits et services « verts ». Au programme, des chiffres, et surtout des comparatifs entre produits Apple (par exemple, la consommation en mode veille d’un iMac, de la première génération à la dernière). Mais surtout, un certain nombre d’éléments mis en avant ne sont absolument pas du fait d’Apple : la consommation en veille est plus due aux réglementations et évolutions des composants électronique qu’à la marque elle-même. Dans le même esprit, se vanter de ne pas utiliser certaines substances chimiques nocives comme si c’était une différence par rapport à la concurrence, c’est typiquement du greenwashing : ils n’ont tout simplement pas le choix, à cause des législations (inter)nationales comme RoHS, REACh, EuP… Et de là à dire que leurs usines sont propres, euh… Il y a tout un tas de reportages sur le web qui mettent clairement cette affirmation en doute. Notez également les nuances typiquement marketing : tel produit pommé n’est pas « écologique », il est « le plus écologique de la gamme ». Et ça, ça ne veut absolument pas dire que ses résultats à une quelconque analyse environnementale seraient bons… En fait, ils ne le sont pas vraiment. Apple utilise certains matériaux recyclables, c’est vrai, mais il les mélange pour former par exemple la coque des iPhone ou des MacBook. Et aujourd’hui, on ne sait pas séparer ces matériaux une fois arrivés en fin de vie. Donc on ne peut plus les recycler, et ils sont perdus. Bon, tout n’est pas noir, et depuis 2010 Apple s’efforce réellement d’utiliser des sources d’énergie renouvelable, au travers d’actions qui ont été saluées cette année par Greenpeace. Encore un petit effort, Apple !

 

 

Alors évidemment, vous m’avez probablement vu venir, mais ces grands groupes essaient tant bien que mal de racheter leur image et/ou de compenser leurs émissions. J’avoue que je suis très critique vis-à-vis de certaines actions, pas seulement en informatique. Planter des arbres pour permettre virtuellement le stockage du carbone que vous émettez, c’est bien, acheter des certificats d’énergie renouvelable aussi. Réduire ces mêmes émissions, c’est mieux. Quand un groupe plante des milliers d’arbres pour se déculpabiliser, ben ça m’agace. Quand Total paye des travaux d’isolation pour compenser le fait de polluer, pareil. Parce que c’est bien gentil, mais ça ne permet aucunement une réduction de pollution à la source. Et il n’y a qu’à regarder autour des usines de fabrication des produits Apple pour se convaincre que leurs actions relèvent bien trop souvent d’une façade.

Du coup, j’aimerais avoir votre avis sur un projet : Google Makani. C’est un genre d’éolienne de 30kW, présentée comme plus performante qu’une éolienne sur mât « classique ». Qu’est-ce que vous pensez du projet, du site, des infos disponibles (y compris les matériaux utilisés et évolutions possibles) ? Est-ce que ça vous parait viable, crédible ? Peu importe votre niveau de connaissance, c’est juste pour avoir un ressenti.

Makani vs. éolienne -- Source : Google
Makani vs. éolienne — Source : Google

 

Dernier point traitant de la réduction de la pollution et des émissions de GES en lien avec l’informatique, après je vous laisse tranquilles. Il ne faut tout de même pas oublier qu’il y a du… positif ! 😀

On l’a vu, l’informatique au sens large a un impact très négatif sur l’environnement. Mais son utilisation (en particulier sa puissance de calcul) permet aussi de faire un certain nombre de simulations, d’aider à la conception… de systèmes moins polluants, comme cela a été le cas pour SkySails, les voiles déployées sur les navires marchands afin de réduire leur consommation de carburant.

Idem dans l’industrie : quel que soit le corps de métier ciblé (concepteurs, mécaniciens, achats…), des logiciels ont été créés ou adaptés afin de donner des informations sur l’impact environnemental de tel ou tel choix de matériaux par exemple. On peut citer SolidWorks Sustainability, dont une version « Xpress » est maintenant intégrée à l’édition standard du logiciel de conception assistée par ordinateur. Dans ce cas, Sustainability est basé sur GaBi, un logiciel d’Analyse du Cycle de Vie (ACV) professionnel, mais rendu accessible à un non-initié. Les infos sont données sous forme de graphiques, généralement.

Un exemple : SolidWorks Sustainability Xpress
Un exemple : SolidWorks Sustainability Xpress

 

Et pour terminer…

Il y a réellement tout un tas de cas où les systèmes d’informations sont un plus en matière d’analyse environnementale, et il serait clairement crétin de s’en priver.

J’espère que j’ai pu vous faire prendre conscience du fait que pour tout ce que nous faisons avec un ordinateur, il y a un énorme système qui se met en branle derrière, et que même si on ne le voit pas, il existe et est largement perfectible. De par sa complexité, il est difficile de l’appréhender dans son ensemble et a fortiori d’agir dessus de bout en bout.

Je vous invite donc (pour commencer !) à faire attention aux réglages de votre machine (en particulier la consommation électrique, virer l’écran de veille, tout ça), à réfléchir au matériel que vous achetez, à vous renseigner sur les pratiques des marques que vous appréciez, et à ne surtout pas hésiter à faire entendre votre voix de consommateur, afin de leur faire comprendre qu’il n’y a pas seulement un aspect commercial ou contraint (les normes, tout ça), mais une réelle demande de la part des consommateurs responsables que nous sommes ou essayons d’être. Ce n’est que par ce genre d’actions que les gros acteurs finiront par réaliser que nous sommes conscients des difficultés qu’ils rencontrent mais que nous voulons « plus ». Là, ils se décideront peut-être à bouger.

De la même façon, j’espère que tout ce que je vous ai raconté ici vous a intéressé et est clair dans vos têtes. Cet article est long, alors allez vous servir une petite bière en récompense 😉

N’hésitez surtout pas à me poser vos questions, à échanger via les commentaires, à donner votre avis… En tout cas, je vous remercie de m’avoir lu, encore, et surtout, j’attends vos retours sur ce sujet qui me passionne.

 

Bonus

J’ai parlé un peu plus haut du Basel Action Network (BAN) et plus particulièrement d’un reportage qu’ils ont fait sur l’exportation de nos déchets high-tech vers l’Asie et l’Afrique (bah oui, c’est moins cher que de traiter ça nous-mêmes, pis après ils se démerdent, donc c’est plus notre problème… ou pas).

C’est un reportage que j’ai vu pour la première fois il y a plusieurs années, dans le cadre d’un devoir sur les DEEE en cours de « Bases scientifiques de l’environnement » je crois. Vraiment, ça m’a marqué, et je pense qu’il est important que vous puissiez le visionner vous aussi. C’est en anglais, mais les images parlent d’elles-mêmes quelle que soit votre langue natale…

Le reportage, « Exporting Harm: the high-tech trashing of Asia », dure une vingtaine de minutes et est disponible sur le net (ou à l’achat, pour une meilleure qualité, et puis pour financer un peu le BAN 😉 ). Je vous le mets ici, du coup, ainsi qu’un PDF récapitulatif : Exporting Harm [PDF]

Et dans le même esprit, un excellent lien donné sur Twitter par @Fr33Tux vers un reportage : « La tragédie électronique », sur ARTE.

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